Passer à la semaine de 4 jours, comment ça marche ?
Les différentes études menées en Europe soutenues par l’ONG 4 Day Week Global définissent la semaine de 4 jours comme la suivante :
La semaine de 4 jours revient à réduire le nombre d’heures de travail effectué, tout en maintenant un salaire équivalent à 5 jours travaillés.
Cependant, la semaine de 4 jours peut être pensé différemment. Selon les entreprises, on retrouve majoritairement 2 types de modèles dans ces études (même si on abordera d’autres modèles types en fin d’article) :
- la réduction du nombre d’heures : par exemple pour la France, passer de 35h à 32h travaillé (ou moins)
- l’augmentation de l’amplitude horaire : par exemple sur une base de 35h passer à 8,75h par jour (au lieu de 7)
L’objectif de passer à une semaine de 4 jours et de maintenir le pouvoir d’achat des salariés et ne pas passer sur une rémunération en temps partiel comme un 80%.
Plusieurs pays en Europe se sont déjà essayé (ou sont en cours de test) à la semaine de 4 jours avec un maintien de salaire :
- Angleterre : test sur 61 entreprises (soit environ 2900 salariés) en 2022 sur 6 mois
- Allemagne : test sur 45 entreprises (soit environ 1000 salariés) en 2024
- Espagne : test sur 200 entreprises de moins de 250 employés du secteur industriel de 2022 à 2024, en passant de 40h travaillées à 32h
Bien que la plupart des entreprises et salariés se disent favorables de passer à la semaine de 4 jours, cela reste une initiative de la part des employeurs du secteur privé, qui pour le moment est uniquement en phase de test, et non de déploiement.
Nous allons revenir sur les résultats des études menées pour dresser les risques et les bénéfices de passer sous ce modèle.
Les avantages retenus par les entreprises qui ont testé la semaine de 4 jours
Nos analyses s’appuient essentiellement sur l’étude menée de la semaine de 4 jours en Angleterre (https://autonomy.work/portfolio/uk4dwpilotresults/) et sur l’analyse de mi-parcours de l’Allemagne (https://www.4dayweek.com/germany-2024-pilot-results).
Les bénéfices ressentis par les salariés du passage à la semaine de 4 jours
Toutes les études que nous avons décortiquées sont plutôt sans appel, le ressenti global de la semaine de 4 jours est excellent.
Les employés ont l’impression de pouvoir plus profiter de leur temps libre, de répartir mieux les tâches ménagères au sein du couple, de profiter de leur famille, et surtout d’avoir un meilleur équilibre de vie au quotidien.
A titre d’informations, plus de 50% d’entre eux ont pris leur lundi ou leur vendredi pour avoir une continuité du weekend, et 1/4 préfèrent rester flexible sur leur journée off.
Voici les éléments sur lesquels on a précisément de la visibilité sur l’étude menée en Angleterre et sur les bénéfices liés au passage de la semaine de 4 jours.
Niveau de stress, burnout et satisfaction dans le travail
A la suite de ces 6 mois de test menés, 39% se déclarent moins stressés au travail (et dans leur vie personnelle également). Cette réduction de stress, se voit et se traduit également très bien dans l’analyse de la déclaration des burnout, où on constate une baisse significative de 71%.
Et de manière globale, c’est 48% des salariés qui sont plus satisfaits de leur travail et de leur implication dans leur vie professionnelle.
Niveau de stabilité émotionnelle, bien être mental et physique
54% des employés affirment qu’ils ressentent moins d’émotions négatives depuis le passage de la semaine de 4 jours, et 43% d’entre eux constatent une amélioration de leur santé mentale après ces 6 mois.
Niveau de fatigue et de sommeil
Côté fatigue et sommeil, c’est environ 40% d’entre eux qui considèrent avoir moins de problème pour s’endormir, et donc un ressenti de fatigue moins élevé sur les autres jours de la semaine travaillés
Niveau d’implication dans les tâches du foyer
Avec 1 jour de disponible en plus dans la semaine, 54% des personnes qui ont pu expérimenter la semaine de 4 jours affirment être moins fatigué pour faire des tâches ménagères et s’impliquent plus dans les tâches du foyer.
Les bénéfices constatés de la semaine de 4 jours par les entreprises
Plusieurs notions circulent côté entreprise pour mettre en place la semaine de 4 jours. Pour certains pays, comme l’Allemagne, basculer à 4 jours représentent un réel intérêt face à une difficulté accrue de recruter des profils (notamment dans le secteur industriel). La semaine de 4 jours représentent un réel avantage compétitif et valorise la marque employeur des entreprises qui l’adoptent.
Ensuite, il est indéniable qu’une personne heureuse dans son travail, le sera plus dans sa vie personnelle, et inversement. Donc cultiver le bien être au travail (ou « le bonheur ») aura un impact, sans forcément parler de productivité mais déjà au niveau de son implication au sein de l’entreprise. Un élément clé dans l’investissement et la fidélisation des talents recrutés. Notion également soulignée par Jeremy Cledat, CEO de Welcome to the Jungle qui a décidé d’adopter la semaine de 4 jours, un early adopter de ce modèle en France.
Enfin, un 3ème élément remarquable qui pourrait pousser, notamment les Etats de légiférer sur ce sujet, est l’impact positif sur le climat. Bien que les estimations restent difficiles à déterminer (car multi variables), une analyse en 2012 publiée par le Political Economy Research Institute avait démontré qu’une diminution de 10% du temps de travail permettrait de réduire de 12,1% l’empreinte écologique. De la même manière, l’ONG 4 Day Week Global a estimé en 2021 une réduction de 127 millions de tonnes d’empreinte carbone par an, soit une diminution de 21,3%.
La question de productivité de la semaine de 4 jours reste cependant encore en suspend. Et malgré un retour très favorable, peu d’entreprises après le test de cette semaine de 4 jours ont implanté ce système de manière définitive.
Les inconvénients de la semaine de 4 jours
L’Angleterre, après 6 mois d’essai, n’a pas basculé dans ce modèle organisationnel. Sur les 61 entreprises, 92% se disaient favorables pour faire un déploiement interne. Au final, seul 30% des entreprises sont passées définitivement à la semaine de 4 jours. Et aucune législation n’est ressorti 2 ans après ce test.
Seul 30% des entreprises qui ont fait le test de la semaine de 4 jours en Angleterre ont adopté ce modèle.
Pourquoi les entreprises restent réticentes à la mise en œuvre de la semaine de 4 jours ?
Les difficultés organisationnelles et managériales
La semaine de 4 jours crée de nombreuses contraintes organisationnelles. Que ce soit pour les salariés qui ne peuvent pas forcément augmenter leur amplitude horaire sur les 4 autres jours (garde d’enfant, vie de famille, temps libre en semaine, etc.) et qui ressentent une pression supplémentaire pour remplir les même objectifs avec 1 jour de production en moins. C’est d’ailleurs ce pour quoi milite plusieurs organismes de « faire une semaine de 4 jours » et pas « faire une semaine en 4 jours ».
Ou que ce soit pour les entreprises, qui doivent arbitrer et coordonner avec les différents modes de travail :
- le télétravail : doit-on laisser 2 à 3 jours de télétravail avec la suppression d’1 jour travaillé ?
- le flex office : comment réorganiser les bureaux pour accueillir l’ensemble des effectifs sur les 4 jours de la semaine ?
- la rotation des effectifs : doit-on créer des rotations d’effectifs sur la semaine pour garder une amplitude de 5 jours à l’échelle de l’entreprise ?
- le management : comment manager des personnes qui sont moins présentes physiquement ?
Les difficultés managériales engendrées peuvent être un frein important à l’encontre d’un déploiement de de la semaine de 4 jours efficace : la baisse d’encadrement et le manque de reconnaissance sont des facteurs aggravants sur une perte de productivité.
Ensuite, la semaine de 4 jours soulèvent également plusieurs questions sur l’éligibilité des postes et des secteurs d’activités.
Dans le cas de la phase de test de 6 mois en Angleterre, si on regarde de plus près la répartition des entreprises par secteur d’activité, on constate une sous représentativité des entreprises du secteur industriel :
Les entreprises avec le plus de contraintes logistiques, de transports et de stockage représentaient au final que 13%. Or, en Angleterre l’industrie représente plus de 20% du marché économique (en PIB). Cette sous représentativité peut être une 1ère analyse de la difficulté à transposer un modèle finalement moins bien adapté (ou avec plus de contraintes).
Il en va de même pour les typologies de poste au sein de chaque entreprise : un poste d’une fonction support aura moins de contraintes à passer à la semaine de 4 jours (en termes de contraintes matérielles, logistiques, etc.), qu’un poste « productif » dans les opérations (répondre au délais client, engagement d’un projet, service client; etc.). En termes d’équité – c’était également un sujet abordé pour le télétravail – peut-on accorder uniquement la semaine de 4 jours à qu’une part de ses effectifs ?
Le manque de visibilité sur la productivité
La productivité est sûrement l’élément principal qui freine le déploiement d’une semaine de 4 jours, dans le cas d’un maintien de salaire et d’une baisse du nombre d’heure effectué.
Le schéma est en soi assez simple à comprendre. En passant de 35h à 32h, vous perdez par tête 3h travaillées par personne. Comment s’assurer que le passage de la semaine de 4 jours permettent un gain de productif suffisant pour justifier cette réduction horaire ?
D’un point de vue purement mécanique et mathématique, le maintien de salaire représente une perte sèche égale à ces 3h non travaillées multiplié par l’ensemble des effectifs concernés.
Le semaine de 4 jours représente une perte sèche pour une entreprise qui ne constate pas d’amélioration de productivité en parallèle.
La productivité est difficilement mesurable dans les études, bien que le ressenti des employés confirme le gain de ce modèle organisationnel. Ce qui limite cette analyse reste toutefois :
- le temps dédié à cette étude : il est dur en 6 mois de tirer des analyses concrètes sur le niveau de productivité avec un changement organisationnel aussi fort, et sans de visibilité long terme (2 ans et plus)
- un étude fondée sur le ressenti déclaré par les cobayes : l’augmentation de la productivité reste un déclaratif sans appui de data quantitatives
Et le retour en présentiel (la fin du télétravail) des équipes d’Amazon a été une bonne source de réflexion ces dernières semaines sur l’écart entre le niveau de productivité attendu vs réalisé. Ce qui alimente d’autant plus le débat de la semaine de 4 jours.
L’organisation d’une semaine de 4 jours et le droit du travail
Semaine de 4 jours et Droit du Travail
Côté législation, voici quelques éléments du droit du travail français à respecter lors de la mise en place d’une semaine de 4 jours (hors conventions collectives ou dérogations particulières) :
- un repos hebdomadaire de 24h consécutif
- un repos quotidien minimal de 11h
- une durée de travail consécutif de 10h maximale
- une pause de 20 min accordée obligatoire après 6h de travail
- aucune obligation ni restriction légale associée à une mise en place d’une semaine de 4 jours
Exemple de Planning 35h sur 4 jours
Nous l’avons abordé rapidement, mais il n’existe pas un seul modèle de déploiement pour la semaine de 4 jours.
Les 2 plus connus et qu’on a abordé jusqu’à maintenant sont :
- Fifht Day Stoppage : un arrêt complet des opérations et de la production du jour 5 initial
- Staggered : les équipes sont scindées en 2 pour permettre une rotation des effectifs sur 5 jours calendaires (et ne pas impacter les clients, fournisseurs, partenaire, etc.)
Et il existe aussi 3 autres modèles, à adapter bien sûr en fonction des législations en vigueur de votre pays :
- Decentralised : modèle hybride et mélange des 2 premiers formats en fonction de l’organisation de vos services
- Annualised : annualisation des heures et compensation selon les saisons hautes et les plus calmes
- Conditionnal : ajout d’un jour de congé supplémentaire en fonction de l’atteinte d’un objectif
Les 2 derniers modèles sont application à condition de respecter les obligations légales du droit du travail.
La semaine de 4 jours est donc encore un vaste sujet, à la marge et à la discrétion des employeurs du privé pour le moment. Cette notion doit s’imbriquer plus largement avec les éléments du télétravail mis en place, ainsi que le flex office, et est difficilement implantable sans soutien étatique.