Pourquoi réaliser un entretien professionnel obligatoire ?
Une obligation légale et des sanctions
L’entretien professionnel a été rendu obligatoire par la loi de 2004 relative à la formation professionnelle. Sans mauvais esprit (un peu quand même), c’est à peu près tout ce qu’il reste aujourd’hui de cette loi. Qui est concerné ? Tous les employeurs, sans exception, quelle que soit la taille ou l’activité de l’entreprise. Et tous les salariés ayant au moins 2 ans d’ancienneté, peu importe le contrat ou le temps de travail. Ha, voilà pourquoi on parle d’un entretien professionnel obligatoire ! Oui.
Vous avez même deux obligations pour le prix d’une :
- D’une part, il s’agit de réaliser l’entretien professionnel selon les échéances prévues. Le Code du Travail impose un entretien tous les 2 ans, et également à l’issue d’une absence longue durée.
- D’autre part, l’obligation porte sur un résultat. En effet, le salarié doit avoir bénéficié d’au moins une formation non obligatoire au cours des 6 dernières années. L’état des lieux récapitulatif réalisé tous les 6 ans (donc après 3 entretiens professionnels) permet de vérifier cela.
Qu’est-ce que je risque si je ne respecte pas cette double obligation ? Une pénalité est prévue… seulement pour les entreprises d’au moins 50 salariés. Elle prend la forme d’un abondement « correctif » de 3000 € sur le Compte de Personnel de Formation (CPF) de chaque salarié « lésé ». Ouf, mon entreprise a moins de 50 salariés !
Néanmoins, l’obligation s’applique à vous également. Parce qu’en général, l’employeur (vous) doit assurer l’adaptation du salarié à son poste et maintenir sa capacité à occuper un emploi. Sinon, l’employeur (encore vous) s’expose à un recours du salarié lésé devant le Conseil des Prud’hommes. Un risque pas toujours facile à évaluer ! ⚖️
Un objectif : l’employabilité du salarié
L’entretien professionnel obligatoire est une pratique de gestion de la compétence du salarié et de développement de son employabilité. « Employabilité », un mot barbare comme on les aime (ou pas) pour dire la capacité du salarié à trouver et conserver un emploi. Donc oui : avant l’État, avant Pôle Emploi, voire avant le salarié lui-même, c’est à l’employeur qu’incombe cette responsabilité.
Autrement dit, l’employeur doit permettre l’adaptation et le maintien du salarié dans son emploi, et plus généralement sur le marché du travail. L’entretien professionnel participe à cet objectif louable… sous la forme d’une obligation pour l’employeur. Merci à vous donc.
À titre d’exemple, on pourra reprocher à un employeur de ne pas développer la compétence numérique d’un salarié si cette aptitude est indispensable dans son métier et pour retrouver si besoin un emploi. Pour autant, il ne s’agit pas de rendre l’employeur responsable de toutes les situations d’incompétence.
Mais est-ce que mon salarié est mis en capacité d’exercer son métier ? Est-ce que mon salarié peut, demain, trouver un emploi dans sa branche ? L’entretien professionnel obligatoire permet aussi de répondre à ces questions. On parle ici d’avoir les compétences de base pour accéder à un emploi et s’y maintenir, pas de développer une expertise. Oui, ça reste quand même un peu ambigu…
De la gestion et du management
Évidemment, l’idée n’est pas de résumer l’entretien professionnel obligatoire à un une contrainte légale ou à une « œuvre sociale ». Enfin vous pouvez, mais ça serait dommage. Sa pratique peut servir à mieux gérer et mieux manager.
Passez de la théorie à la pratique
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D’abord, sous l’angle individuel : l’entretien professionnel obligatoire donne de la matière à la gestion de carrière du salarié, ne serait-ce qu’en identifiant plus précisément les besoins de formation. Cela contribue à avoir plus de finesse et à réduire l’inertie dans la gestion de la trajectoire du salarié. Car même dans une entreprise avec une structure managériale de proximité, un temps formel d’échange permet une réflexion que le micro-management ne permet pas. CQFD.
Ensuite, sous l’angle collectif, l’entretien professionnel fournit de la donnée globale sur la compétence et la mobilité dans l’entreprise. Cette data, centralisée et traitée, ouvre des possibilités en matière de gestion (plus ou moins) prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Par ailleurs l’entretien professionnel obligatoire est un événement managérial. C’est une occasion privilégiée d’échange où des informations nouvelles peuvent être partagées. Bis repetita : car même dans une entreprise avec une structure managériale de proximité, un temps formel d’échange permet une réflexion que le micro-management ne permet pas.
Au salarié, l’entretien professionnel peut donner davantage de visibilité sur le contexte d’entreprise et les évolutions à venir, et sur les possibilités qui sont ouvertes. À l’employeur, l’entretien professionnel peut donner davantage de visibilité sur les perceptions, les ambitions, et sur l’affect du salarié vis-à-vis de son travail et de l’entreprise. Au-delà de la trajectoire professionnelle, c’est aussi la trajectoire de vie qui est évoquée. Cet entretien est l’occasion d’un échange sincère autour des projets des 2 parties. Ainsi, un entretien professionnel maîtrisé peut constituer un pilier de la relation au salarié et de la relation manager-managé.
Comment construire un entretien professionnel obligatoire ?
Le cycle et le cadre de l’entretien professionnel
Plusieurs variables déterminent la manière de réaliser des entretiens professionnels obligatoires. De manière générale, il y a 2 façons de réaliser des entretiens : à date d’anniversaire, ou en campagne.
Soit on conduit les entretiens professionnels tout au long de l’année, à date d’anniversaire des contrats de travail. L’avantage est de connecter précisément l’entretien à l’ancienneté du salarié et de lisser sur l’année la charge des entretiens. Ici, on traitera essentiellement de manière individuelle (pour gérer spécifiquement la formation et la carrière du salarié).
Soit à l’inverse, on opte pour un fonctionnement en campagne : pour concentrer l’effort sur une période de l’année et pour faciliter le traitement collectif des entretiens. Cette option peut être prise notamment lorsque l’entreprise établit un plan de formation annuel, ou par exemple dans le cas d’une activité saisonnière.
Vos contraintes d’activités et pratiques éventuelles de GRH déterminent votre cycle optimal de réalisation des entretiens professionnels.
Pour répondre à l’enjeu managérial, l’entretien se passe entre le salarié et son manager direct. Logique non ? On vous a peut-être suggéré une autre configuration (un interlocuteur RH par exemple ?). On persiste : la réalisation de l’entretien ne peut être déléguée à quelqu’un d’autre que le manager. Sauf si (1) vous pensez que la fonction RH est une/la fonction managériale (ce qui n’est pas le cas), et (2) vous pensez vos managers incapables de le faire (ce qui ne devrait pas être le cas). Les managers concernés doivent bien sûr être formés à la pratique, à la posture, et au(x) outil(s) associés.
Au-delà des acteurs, il y a le cadre. Là-dessus, on ne vous apprendra rien en vous disant que le choix du lieu doit garantir la discrétion et la confidentialité qui s’imposent. De manière générale, le cadre doit garantir de bonnes conditions de parole et la liberté d’échange.
Le cahier des charges de l’entretien professionnel
Les contenus de l’entretien professionnel obligatoire sont soumis à un cahier des charges réglementaire. L’Article L6315-1 du Code du Travail nous dit que l’entretien professionnel doit être consacré aux perspectives d’évolution professionnelle du salarié. Cela sous-entend 2 choses :
- La première, c’est que l’entretien professionnel ne doit pas porter sur l’évaluation du travail ou de la performance du salarié. L’employeur souhaitant évaluer cela le fera dans un autre cadre, un entretien annuel d’évaluation par exemple. Autrement dit, un entretien d’évaluation n’est pas et ne remplace pas un entretien professionnel. Par souci d’efficience, on peut néanmoins lier les 2 entretiens, en veillant cependant à bien distinguer les 2 pratiques (en ayant 2 temps distincts).
- La seconde, c’est que l’entretien professionnel porte sur plusieurs dimensions : la situation actuelle du salarié, les aspirations et le projet professionnel du salarié, les moyens éventuels que l’entreprise et le salarié peuvent mobiliser pour ce projet, etc.
En plus de fixer un périmètre, la loi impose la rédaction d’un document à l’occasion de l’entretien professionnel obligatoire. Puisque le format n’est pas précisément défini, cela se concrétise a minima par la réalisation d’une synthèse de l’entretien en 2 exemplaires, signés par les 2 parties, et dont un est remis au salarié. À noter que l’ensemble des obligations et du cahier des charges rappelés ici relèvent du Code du Travail. Or, un accord d’entreprise, un accord de branche, ou une convention collective peuvent modifier ou compléter ces éléments, et fixer d’autres modalités qui s’imposent de fait à l’employeur.
Quelle trame pour l’entretien professionnel ?
L’entretien professionnel donne donc obligatoirement lieu à la rédaction d’un document, dont le format reste au choix de l’employeur. Ce document permet déjà, par sa simple existence, de vérifier que le salarié a bien bénéficié de ses entretiens. De plus, les contenus doivent servir à vérifier, lors de l’état des lieux des 6 ans, si le salarié a :
- suivi au moins une action de formation non obligatoire (c’est sur ce critère que la pénalité sous la forme de l’abondement du CPF s’applique),
- acquis des éléments de certification par le biais de formation ou d’une validation des acquis et de l’expérience (VAE),
- connu une progression salariale ou professionnelle.
Aussi, la conception de la trame doit être pensée selon son usage. En effet, la trame, doit être un facilitateur d’échange et d’accès à l’information, et doit être simple à utiliser. On peut utiliser par exemple des cases à cocher, faciles à traiter et à renseigner, et compléter par des commentaires. On peut également rédiger les items à la première personne du singulier pour mettre le salarié en posture de projection.
Voici des exemples de composantes d’une trame d’entretien professionnel obligatoire :
- un rappel des objectifs de l’entretien, de son cadre et des modalités de préparation par le salarié ;
- l’identité du salarié, la date de l’entretien et la période couverte, la nature de l’entretien (cycle normal ou suite à une longue absence) ;
- une première partie dédiée au bilan de la période : les actions de développement suivies (cf. les 3 types d’actions ci-dessus), le bilan dans l’emploi (est-ce que le salarié se sent/est en compétence/en difficulté ?) ;
- une seconde partie dédiée à la projection sur la période suivante : dans le poste et dans l’entreprise (aspirations à 2 ans ? actions de développement envisageables ?), et hors de l’entreprise (des projets impactant le parcours professionnel ? la trajectoire dans l’entreprise ?) ;
- la clôture de l’entretien, avec d’éventuels commentaires complémentaires, et les signatures des 2 parties.
Comment mener un entretien professionnel obligatoire ?
Bien préparer l’entretien professionnel
Un entretien professionnel obligatoire nécessite une préparation des 2 parties. Pour cela, la date d’entretien est communiquée au salarié au moins une semaine avant sa réalisation. La trame d’entretien est mise à disposition du salarié au moment de l’invitation. Pour la préparation du salarié :
- On intègre des consignes de préparation directement dans la trame (avec des indications sur le temps à allouer, la méthode, l’esprit, etc.).
- Dans l’idéal, le salarié prépare ses éléments directement dans la trame.
- On demande au salarié de transmettre ses éléments de préparation au manager en amont de l’entretien.
L’intérêt de la préparation est d’inviter le salarié à structurer sa réflexion, ses idées, son discours. Ainsi, on facilite sa prise de parole et on s’assure qu’il aborde tout ce qu’il aurait aimé aborder.
Du côté du manager, la préparation peut suivre les logiques suivantes :
- Récapituler les éléments de bilans et les actions mise en œuvre sur les 2 dernières années (que l’on peut comparer à ce qu’il était prévu de faire sur la période).
- Définir les messages managériaux à dispenser lors de l’entretien.
- S’informer ou identifier des évolutions pouvant concerner le salarié.
- Prendre connaissance de la préparation du salarié et préparer les commentaires à faire.
- Identifier les leviers d’action qui pourront être mobilisés dans les 2 ans pour la carrière du salarié.
Tout comme pour le salarié, il faut une préparation minutieuse, « à froid ». C’est pourquoi les managers doivent également être formés et accompagnés dans cette phase.
Bien animer l’entretien professionnel
L’entretien professionnel doit être animé de manière à :
- faciliter l’échange et la prise de parole du salarié,
- maintenir le cadre et la structure de l’entretien.
De manière générale, le manager est l’animateur de l’entretien. C’est lui qui s’assure du déroulement selon la structure définie, et qui gère le timing. À ce sujet, l’entretien doit être planifié sur un créneau dédié, d’une heure par exemple, sans contrainte pour les 2 parties. Mieux vaut d’ailleurs réaliser l’entretien en 2 temps si besoin, plutôt que de vouloir faire tenir à tout prix l’entretien dans le timing initialement prévu.
De plus, à l’occasion d’un premier entretien professionnel avec un salarié, n’hésitez pas à le questionner sur cette pratique. Que pense-t-il de cet entretien ? A-t-il eu des difficultés dans sa préparation ? Etc. Cet échange préalable sert à rappeler les objectifs de l’entreprise et du manager vis-à-vis de cette pratique.
Par ailleurs, l’entretien professionnel est un exercice d’intelligence relationnelle et émotionnelle. Par son animation et sa posture, le manager pose un cadre bienveillant : écoute active, effort pour rattacher les perceptions et les ressentis à des faits, transparence et réalisme sur les projections, etc. Chaque rubrique évoquée peut suivre une même séquence :
- le manager donne la parole au collaborateur pour
qu’il partage ses éléments, - le manager s’assure de sa bonne compréhension des
éléments du collaborateur (en les reformulant par exemple), - le manager fait part de ses commentaires et de
ses propres éléments au collaborateur, - le manager invite à échanger et à débattre sur
les éléments exprimés, - le manager formalise les éléments dans la trame.
Avant la signature du document, les 2 parties font une relecture des éléments formalisés pour valider leurs contenus respectifs. L’entretien professionnel obligatoire n’aboutit pas nécessairement à un consensus. S’il y a des désaccords, formalisez-les dans la synthèse.
Quelles sont les suites à un entretien professionnel obligatoire ?
Ça dépend. De vous, employeur, et/ou de vous, manager. Si c’est avant tout un outil de gestion de carrière, il fait l’objet d’un traitement exclusivement individuel : on valide (ou non), on planifie, on suit les actions ou les formations évoquées en entretien.
C’est au manager d’assurer la coordination des actions, même s’il n’en pas partie prenante. Le cas échéant, il sollicite les fonctions concernées (RH, administrative, autres) pour la mise en œuvre et le suivi des actions. Cette traçabilité donne au manager des éléments de bilan qu’il partagera avec le salarié à l’occasion du prochain entretien ou même d’un échange intermédiaire.
Aussi, les données de l’entretien professionnel obligatoire peuvent être centralisées pour servir des pratiques de gestion collectives. En effet, les éléments de l’entretien peuvent servir à alimenter une revue de personnel, un plan de formation, des outils de GPEC, etc.
Un tel traitement suppose de concevoir les flux et des outils pour centraliser, traiter, et valoriser l’information, pour pouvoir décider et agir (logique de business intelligence). Ces usages doivent être anticipés et pris en compte dès la conception de l’entretien professionnel obligatoire, pour en adapter la structure, le mode et le cycle de réalisation.
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